Vous les voyez toutes adopter ce nouveau style d’échange à la mode : l’impertinence et la familiarité. Poussées par l’avènement des réseaux sociaux sans doute, les marques se permettent de vous adresser des messages toujours plus personnalisés et parfois très provocateurs. Quand elles décident de vous tutoyer, de vous juger, dans l’optique de vous décrocher un sourire, cela fonctionne-t-il toujours ? Est-ce approprié pour toutes les marques ou faut-il se méfier de ce marketing des sentiments ?
Trois grands noms m’ont laissé entrevoir qu’à différents degrés, la connivence peut apporter un véritable caractère à celui-qui en joue. Mais la recette n’est pas toujours bien vue des consommateurs …
Netflix : un ton qui semble légitime
En figure de proue, j’ai deux exemples qui me viennent en tête. Netflix étant le premier. Le service de streaming comptait en octobre 137 millions d’abonnés. Énorme. Pour autant, la marque fait un usage intensif des réseaux sociaux pour se rapprocher de vous et soigner le lien qu’elle peut nouer avec ses utilisateurs, au point d’oser s’immiscer dans la vie de chacun. À commencer par les comptes sociaux : vous trouverez un compte par territoire, permettant d’hyper-localiser les échanges. Tutoiement, blagues, messages directement adressés, tout est prétexte à mettre en situation le produit dans votre quotidien. Netflix est un service qui prend attache dans le foyer : sur la télé du salon, sur la tablette au chevet du lit, ou encore sur son smartphone.
L’axe qui consiste à s’adresser à vous comme un compagnon de vos moments détente devant séries et films en chaussettes ou sous la couette paraît totalement cohérent. Dans ce cas précis, c’est même astucieux. En fouillant un peu plus loin, on note même que c’est souvent ce thème qui revient dans les messages. Chaque hiver, on a droit au bon petit « La saison des séries et du chocolat chaud est ouverte ». Ici la familiarité rejoint la fonction de Netflix et crée un véritable capital sympathie puisque les échanges restent courtois, de bon goût et respectueux.
Burger King : le ton ambigu à la limite de la prétention
Pour ce second exemple, je suis sûr que je vais me mettre certains d’entre vous à dos. Je fais partie de ceux qui ont adoré suivre les péripéties de l’arrivée du Burger King en France. Seulement, si l’impertinence et la familiarité ont soufflé un vent nouveau dans le secteur, j’ai le sentiment que la marque fait du sur-place. Six ans après son retour en fanfare, ce ton devient de plus en plus crispant et prétentieux.
La blague fait-elle toujours son effet ? C’est ce que je me suis demandé à la vue de la dernière campagne TV signée Buzzman, remettant à l’honneur, mais pas trop, son menu King Deal à 4,95 €. La marque tente un humour du non-sens au travers de vidéos texte sur fond noir, volontairement austères. Une campagne publicitaire qu’ils dénomment d’ailleurs « pas terrible terrible ». Pour ma part, j’estime qu’on a passé le cap du fun pour ne voir que de grossiers rouages marketing où l’on est ostensiblement pris pour le dindon de la farce. Je vous en laisse juge et maître de votre propre opinion.
La familiarité sert sans doute à engager une connivence avec la cible, pour créer une simili-amitié. Vous n’êtes plus client, vous êtes partie prenante du « délire ». « C’est très bon pour vous, mais pas trop pour nous ». Vraiment ? Pourquoi le faire alors ? Ce qui me gêne, c’est de ne plus avoir besoin de connaître le fonctionnement d’une entreprise, ou du marketing pour voir qu’ici, on cherche à nous abuser. Je reprends une citation d’expert, issue d’un excellent papier de Slate qui traite du même sujet mais sur le cas de Big Fernand).
«Ce n’est jamais agréable de se sentir la cible du marketing, et encore moins que la relation commerciale soit niée par le commerçant», Dominique Picard Psychologue, entre autres co-autrice du « Que sais-je ? »
L’École de Palo Alto (PUF, 2015).
Big Fernand : celui qui va encore plus loin
Pour continuer, je vais reprendre l’exemple cité précédemment : Big Fernand. Troisième cas, celui qui va le plus loin dans la recherche d’une connivence, et qui va même jusqu’à l’imposer. Avant même que vous n’ayez daigné vous intéresser à l’entreprise, ses messages vous tutoient et s’amusent même à vous juger. Est-ce là une pratique vertueuse ou au contraire rédhibitoire ?
Le prospect est déjà désigné comme consommateur puisque l’enseigne décrète, sans votre consentement, une relation familière. Aussi se pose la question : l’amitié, la connivence s’impose-t-elle, et doit-elle être le moyen marketing de vous atteindre ? Ou doit-on rester sur les bases du marketing, à savoir, établir une promesse à laquelle vous allez choisir d’adhérer ou non ?
« Si tout le monde a le devoir d’être poli, on n’a pas le devoir d’aimer les gens. Les sentiments, ça nous appartient. »
Un nouveau langage connoté, qui vire à l’art de la provocation
Le terme « Art » ici n’est pas anodin. Soit on le manie avec brio, soit on échoue. Dans cet article on a trois exemples, trois paliers qui délimitent les niveaux de familiarités que l’on peut adopter avec sa marque. Je vous laisse le soin d’établir si leur posture est acceptable ou non.
Toujours est-il que leur point commun réside dans la recherche d’un univers lexical qui séduit la cible, souvent les jeunes générations. La prise de parole plus familière sert à construire un territoire vers lequel il est « bien vu » d’adhérer et pour lequel on va tirer un bénéfice, qu’il soit de l’ordre de l’image de soi ou produit. Le ton généralement décalé et jeune des mots choisis provoque une réponse communautaire : ceux qui comprennent et utilisent le même vocabulaire se sentiront visés, tandis que ceux qui passeront à côté se sentiront exclus.
Quelle que soit donc la stratégie ou le degré utilisé, je pense qu’il n’est ni bon, ni mauvais d’être familier. Tout dépend, comme toujours, de la cible. Le succès de ces axes de communication réside probablement dans la recherche d’un équilibre entre adhésion et exclusion. Toutefois, il semble que plus on joue la carte du familier, plus on va tendre vers une cible restreinte, celle qui acceptera d’être interpellée de façon si personnelle…
Je suis curieux ! À la lumière de ces exemples, dites-moi quels sont ceux qui vous semble légitimes ou au contraire trop intrusifs ? Au final, la familiarité est-elle selon vous une bonne, une mauvaise pratique ?
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