Cet article est une réactualisation d’un article rédigé en décembre 2018.
En 2018, ma région natale décide de se parer d’une nouvelle identité. Pour être plus exact, il s’agit de mon « ancienne » région administrative : la Lorraine. J’ai déjà été très bavard sur le choix du nom Grand-Est et son logo associé. Mais ici se pose une autre problématique, celle du marketing territorial. Ayant travaillé de nombreuses années dans la sphère du tourisme local, j’ai encore en tête les nombreux labels qui jalonnent le quart Grand-Est de la France. Je dois dire que si le marketing territorial est une belle opportunité pour les collectivités, l’effet millefeuille de marques sans réelle substance (et par là j’entends valeurs) n’est pas toujours à l’avantage des acteurs du territoire.
Une marque de territoire, pour quoi faire ?
Le marketing territorial, ou « city branding », est à la mode depuis la fin des années 2000, s’inspirant de destinations internationales, comme New York ou Amsterdam. Les régions et grandes métropoles font face à une concurrence grandissante des destinations étrangères et frontalières. En crise d’identité, elles font appel au marketing territorial pour mieux se distinguer et dessiner les contours de leur richesse. L’objectif consiste alors à analyser les atouts et les besoins du territoire, et à travailler son offre. Pour ce faire, les collectivités s’attèlent a de longs processus de diagnostic, passant par la co-construction avec tous les acteurs : établissements publics, entreprises, écoles et universités, destinations touristiques, cœurs de développement économiques et numérique…
Avec pour exemple des réussites comme OnlyLyon, Iamsterdam, SoToulouse, les départements et les plus petites agglos développent aussi leurs propres marques. On assiste à la naissance d’un millefeuille de labels entre nouvelles régions administratives, anciennes régions dites ‘culturelles’, départements, métropoles, grandes agglomérations… Le tout construit un quadrillage de personnalités, qui n’arrivent pas toujours à se définir, voire pire, s’affublent d’un visage qui n’est que pur habillage.
L’exemple du Grand-Est qui ne compte pas moins de 13 marques
J’ai compilé sur cette carte (réactualisée) les marques dont j’avais connaissance, ainsi que celles que j’ai pu trouver sur la toile. Je suis persuadé qu’elle est encore incomplète, notamment des communes et communautés de communes qui lancent, elles aussi, leur propres initiatives. (N’hésitez pas à me faire part de vos connaissances sur le sujet !). L’objectif est de représenter ces identités chères à chaque collectivité et qui parfois, n’ont d’autre promesse que celle d’une logique géographique et ou peu de place est donnée aux valeurs / à l’adhésion d’une culture.
Le territoire de La Lorraine se partage à lui seul 7 marques, de la plus large à la plus localisée :
- « La Lorraine, vous révéler » nouvelle marque pilotée par le comité régional du tourisme, succédant à « La Lorraine », ancienne marque touristique du CRT.
- La marque « Massif des Vosges » qui réunit les acteurs du massif depuis 2014 autour d’un Contrat de Destination en Comité de promotion touristique collective du Massif des Vosges.
- « Je vois la vie en Vosges », initiative portée par le département des Vosges.
- La marque « Mosl », du département de la Moselle.
- « Épinal, la belle image », marque portée par la communauté d’agglomération d’Épinal regroupant 78 communes.
- « Inspire Metz », l’agence de développement économique et touristique de Metz Métropole.
- « Amnéville Cité des Loisirs », qui porte l’activité touristique de la ville du même nom, 8ème station thermale française.
Oui, c’est un fait, les marques territoriales prolifèrent. Certaines portent un véritable trésor grâce à un système de valeurs bien ancré (Je vois la vie en Vosges est un de ces exemples qui perdure dans le temps, 15 ans bientôt !) mais le risque de créer confusion et incohérences auprès des populations, des touristes, et autres cibles potentielles est d’autant plus grand. Nombre d’entre elles sont déconnectées de la réalité et de la culture locale. Elles peinent alors à générer une adhésion aux valeurs du territoire. Prenons exemple sur un acteur touristique du massif des Vosges. Où doit-il se situer dans ce capharnaüm territorial ? Avec qui va-t-il travailler à la valorisation de ses convictions et de sa culture ? La Lorraine ? Je vois la vie en Vosges ? Massif des Vosges ? Toutes à la fois ? Pas sûr d’avoir une réponse.
Il est d’ailleurs étonnant de noter que leur ordre d’apparition n’est pas le même que celui cité ci-dessus. Autrement dit, les marques ne se construisent pas au gré des échelons. La marque Lorraine d’ailleurs (ancienne région) ferme la marche. Elle est venue troubler les identités plus localisées comme l’a fait savoir Patrick Weiten, président du département de la Moselle.
« Je ne serai pas présent au lancement de la marque Lorraine par la Région Grand Est. C’est une volonté délibérée. Je ne vais pas faire la promotion de la marque Lorraine alors que je suis en désaccord avec cette stratégie ». On va encore dire que Patrick Weiten fait bande part. Que le Président du conseil départemental de Moselle ne joue pas collectif. Pourtant, il précise : « Nous nous revendiquons Lorrains ».
Extrait du journal LaSemaine
Remettre au centre le processus de définition plutôt que le résultat
Replongeons à l’époque de nos études, où l’on nous demandait de réaliser un exposé, un oral… Vous vous souvenez ? Ce long travail ou vous n’arriviez jamais à vous caler avec vos camarades et où vous ne tombiez jamais d’accord. Vous négociez votre angle, discutez l’avis de l’autre, cherchez à comprendre ou à réfuter. Le but est de discuter, échanger, proposer, négocier sa partie à l’oral, ce qui est à conserver, à supprimer… tout cela pour fournir une présentation succincte, claire et précise qui convient au groupe et satisfera l’audience.
Mais vous connaissez sans doute aussi ces oraux où vous n’avez jamais réussi à discuter et où chacun vient avec un morceau à réciter ? Résultant en une présentation décousue, incomplète ou parfois même contradictoire ? Vous voyez sans doute où je veux en venir. La constitution d’un thème, d’un symbole, si attaché à l’histoire, à la culture, à l’économie d’un territoire ne doit pas se faire en vase clos. Ce que n’ont pas compris de nombreux instigateurs du branding territorial, c’est qu’il ne s’agit en aucun cas d’une fin en soi, d’un oral à rendre, pire, d’un processus qui fera plaisir à ses administrés dans un joli rapport d’activité. Ainsi, l’important n’est pas le nom ou le dessin d’une marque, mais bien la dynamique collective, la co-construction, indispensable pour que toutes les parties prenantes se parlent, échangent et se retrouvent dans l’évolution d’un label vivant.
C’est la seconde erreur à ne pas commettre : créer une identité cristallisante qui n’aura que pour seule vocation segmenter, isoler et donc vieillir par son manque de réalité. Au contraire, la discussion doit se poursuivre, accueillir de nouveaux porte-paroles, pour faire rayonner le territoire par la voix de ses acteurs… Dans cette cacophonie, faudrait-il tout recommencer pour mieux s’apprivoiser ?
L’exemple d’une démarche transversale : Reims
La co-construction dans la définition d’une marque territoriale est essentielle pour fédérer les acteurs du territoire autour d’une vision partagée et inclusive. Comme le démontre l’exemple de la marque Reims Légend’R, une approche participative permet d’aligner les différents secteurs économiques, culturels et institutionnels, ce qui renforce non seulement l’adhésion des parties prenantes, mais aussi l’authenticité de la marque. En impliquant près de 150 représentants de divers secteurs dans des ateliers de co-construction, le Grand Reims a pu s’assurer que la marque reflète les valeurs et l’identité locale tout en répondant aux attentes des acteurs et habitants concernés. Ce processus participatif a ainsi permis d’aboutir à une marque qui incarne l’ambition collective et stimule l’engagement local, contribuant ainsi à un développement harmonieux et durable du territoire.
« À l’image de ce territoire riche de pépites et soucieux d’innover, le concept de la marque se doit d’être prometteur. La signature « Légend’R » fait référence à l’âme historique, culturelle, et à l’excellence du territoire. Reims Légend’R, c’est une histoire à raconter, une légende à poursuivre, avec une véritable mission en termes d’ambition, d’incarnation et de réalisation. »
Dossier de presse de lancement de la marque Légend’R
Le processus de co-création évite ainsi les risques de fragmentation et de confusion, tout en renforçant le sentiment d’appartenance et la fierté des habitants et acteurs locaux. Il en résulte une marque dynamique, adaptable et porteuse de sens, qui évolue avec les besoins du territoire.
Actuellement en plein processus similaire, je trouve passionnant qu’un article rédigé en 2018 puisse tant faire écho à la réalité de 2023. Passer d’un discours descriptif, d’offre, à une véritable promesse de territoire avec sa culture, ses valeurs pour susciter l’adhésion. Rendez-vous bientôt je l’espère pour vous en détailler les contours ! Si vous voulez continuer sur la thématique, je parlais de la consultation manquée du nom de la région Grand Est juste ici. 🙂